A) Le polyèdre de Dürer

1. Un solide remarquable

Dans la gravure de Albrecht Dürer " Melencolia 1 " de 1514, date visible en bas à droite, le polyèdre placé dans la moitié gauche, certainement un bloc de pierre, a soulevé bien des interrogations mentionnées dans les nombreux commentaires suscités par cette oeuvre majeure de l'artiste (peintre, graveur, mathématicien).

A l'examen, ce solide présente deux faces triangulaires (haut et bas) et six faces pentagonales latérales : c'est un octaèdre.
Les faces pentagonales ont des côtés opposés parallèles et admettent des axes de symétrie.
Si on prolongeait les faces pentagonales, elles formeraient un hexaèdre ; cet objet semble tronqué.
Les faces de cet hexaèdre, parallélogrammes possédant des axes de symétrie sont donc des losanges (losange = rhombe) . Ce polyèdre apparaît comme un rhomboèdre d'angle aigu, tronqué (rhomboèdre = solide dont les six faces sont des losanges égaux) par ablation des sommets opposés ; ceux où se trouvent 3 angles aigus .
Tel qu'il apparaît sur la gravure, ce polyèdre présente un axe de symétrie vertical d'ordre trois (le solide est invariant par rotation autour de cet axe de 1/3 de tour) et les deux faces supérieure et inférieure sont deux triangles équilatéraux égaux.

Un losange (losange = rhombe) est caractérisé par la longueur du côté et par l'angle de deux côtés consécutifs.
Dans l'ouvrage " Saturne et la mélancolie " de R. Klibansky, E. Panofsky et F. Saxl, paru en 1964 (traduction française en 1990) où cette gravure est longuement étudiée, le polyèdre est décrit minutieusement et l'angle proposé est de 80°.
L'examen de ce solide suggère le rapprochement avec trois domaines :
* Les polyèdres réguliers ( Solides de Platon) ou autres, élaborés par les mathématiciens (Partie C)
Depuis l'antiquité, les polyèdres réguliers convexes, au nombre de 5 (tétraèdre, hexaèdre = cube, octaèdre, dodécaèdre et icosaèdre), ont été étudiés ; Platon les cite dans " Le Timée " , seul le cube est nommé, et Euclide les introduit dans sa géométrie.
* Les surprenants solides offerts par les cristaux naturels (Partie D).
* La perspective utilisée pour représenter dans un plan les figures de l'espace (Partie E).
Ici, le dessin du polyèdre est une manifestation de cette nouvelle science de la perspective.
A la Renaissance, fin du 15ème puis 16ème siècle, les propriétés géométriques de la perspective resurgissent après leur oubli médiéval et l'étude des polyèdres est très active, en particulier ceux dits "semi-réguliers" dont une des contraintes est qu'ils soient inscriptibles dans une sphère.
Dürer, suite à ses deux voyages en Italie (voir La Divine Proportion), est alors très impliqué dans des recherches mathématiques.
L'examen de ce solide fait apparaître des propriétés de symétrie (centre, plans et axe ternaire) ; nous pensons de plus qu'il est inscriptible dans une sphère.
Pour le polyèdre de Dürer, l'angle de 80° proposé en 1990, donne des propriétés géométriques intéressantes comme tout rhomboèdre.
En 1999, P. Schreiber, dans la revue Historia Math. 26, propose 72° pour cet angle.
C'est l'angle au centre du pentagone régulier ; le supplément est donc de 108° c'est-à-dire l'angle de deux côtés consécutifs du pentagone.
Afin de mieux approcher ce polyèdre, de mieux comprendre son origine, nous allons le construire comme un solide dans un bloc de merisier, et non pas comme une surface à partir d'un patron.
Lors des étapes successives, nous pourrons découvrir ses propriétés.
Enfin, le polyèdre obtenu nous permettra des comparaisons avec son aspect sur la gravure, confirmant ainsi les hypothèses.
Le choix de l'angle de 72° va apparaître comme lié aux préoccupations de l'artiste au moment de l'exécution de la gravure ; là en effet, le solide va montrer de surprenantes propriétés géométriques.

2. Comment construire ce polyèdre

- Le rhomboèdre

Le rhomboèdre de sommets A E B F F' A' E' B' (Fig. 1) de grand axe (F E') a 6 faces, 

8 sommets, 12 arêtes.
On note θ l'angle aigu AEB et α la longueur d'une arête. Les 6 faces sont des losanges égaux.


 
(P) est le plan de la face AEBF et (P') le plan de la face A'E'B'F'.
E E' F' F est un des plans de symétrie du rhomboèdre.
Fig 2 : éléments nécessaires pour le calcul de l'angle aigu de deux faces contiguës du rhomboèdre.
H est le projeté orthogonal de E sur (P') et K celui de E sur la droite (E'B'). HKE' est donc un angle droit.
EK = EE'.sin θ , EK est la hauteur d'une face du rhomboèdre. E'K = EE'.cos θ
Comme KH = E'K.tan( θ/2) on a KH = α.cos θ.tan( θ/2)
L'angle EKH, de mesure φ , est l'angle aigu de deux faces contiguës du rhomboèdre.
EH = HK.tan φ , EH est la hauteur du rhomboèdre, distance des deux faces (P) et (P').
Dans le triangle rectangle EHK, EH² = EK² - HK² ce qui permet de calculer EH.
On obtient tan φ = √(3+t²(2- t²))/(1- t²) en posant tan( θ/2) = t.
Les valeurs EH, EK et φ permettent de construire un rhomboèdre.
EK = α.sin θ et EH = α.t.√(3+t²(2- t²))/(1+ t²) soit EH = α.t.√((3-t²)/(1+ t²)) 

et E'H = α.cos θ/cos (θ/2).

- Le rhomboèdre tronqué

Aux 2 extrémités F et E' du grand axe, on détermine deux pyramides qui serviront à situer le plan de coupe (voir Fig 1). Le rhomboèdre tronqué a ainsi 8 faces, 12 sommets, 18 arêtes. On choisit FD=FS=FC et de même pour la pyramide de sommet E'. La longueur FC est déterminée ci-dessous.
On a rappelé que parmi les polyèdres étudiés à la Renaissance, et en particulier par Dürer, la condition d'être inscriptible dans une sphère était une contrainte habituelle.
Si notre polyèdre tronqué obéit à cette condition, ses sommets, et en particulier A B C D E, points du plan (P),
sont donc 5 points d'un même cercle (intersection d'une sphère et d'un plan).
 

Le cercle (Γ) circonscrit au triangle AEB est bien défini par l'angle en E de valeur θ. 
Il suffit de choisir C et D comme points d'intersection de (Γ) avec les droites (FA) et (FB).
(EF) est axe de symétrie de la face pentagonale AEBDC du polyèdre.
Il restera ensuite à justifier que le rhomboèdre tronqué ainsi défini est bien inscrit dans une sphère.
Le losange AEBF, de centre G, est une face du rhomboèdre.

Le cercle (Γ) de rayon ρ , de centre O, coupe donc (AF) en C et (FB) en D. 
I est le milieu du segment [CD].
Dans le triangle rectangle GEB , AB = 2.α.sin (θ/2) car AB=2.GB
Dans le triangle AEB , EB/sin (90° - θ/2) = 2.ρ
On obtient ρ = α/2.cos (θ/2) et EF = 2.α.cos (θ/2)
En utilisant la puissance du point F par rapport à (Γ), soit
FC.FA = FO² - ρ ² ce qui conduit à FC = 2.α.cos θ et FI=FC.cos(θ/2).

Cette configuration est possible quand EF ≥ 2. ρ et angle(OBF) ≤ 90°
Soit cos (θ/2) ≥ 1/√2 et 2(90°- θ/2)- θ/2 ≤ 90°
Pour la configuration ci-dessus, il faut θ compris entre 60° et 90° au sens strict.

Vérifions que le rhomboèdre tronqué ainsi défini est inscriptible dans une sphère.
Le plan EFE'F' (Fig 4) est un des plans de symétrie du solide et FEE'F' est un parallélogramme dans lequel EF = 2.α.cos (θ/2) et EE' = α.
S est le point du segment [FF'] tel que FS = FC = 2.α.cos θ. Le cercle de diamètre [EF'] recoupe (E'F') en H', (EF) en J', (FF') en S', (EE') en N'. 
Angle EH'F' = 90° donc H' = H. De même, J' = J.
Le centre Ω de ce cercle est le milieu de [EF'] donc centre de symétrie 
et aussi, angle (Ω OE) = 90°.
On montre que ce cercle coupe (FF') en S et (EE') en N.

En effet, Ω O = EH/2 et la puissance du point F par rapport à ce cercle est
FS'.FF' = F Ω ² - E Ω ² soit FS' = 2.α.cos θ donc S et S' sont confondus. De même pour N.


En conclusion, la sphère (Σ) , de centre Ω, de diamètre [EF'], coupe le plan (P) suivant le cercle de diamètre
[EJ], c'est donc (Γ). Les 5 sommets F'A'B'C'D' sont aussi sur la sphère ainsi que S et N.
Enfin, (Σ) a pour rayon R = √( Ω O² + E O ² ) = ½.α.√((1+5t²)/(1+ t²))


Le rhomboèdre d'angle θ, ainsi tronqué ( une seule valeur FC=2.α.cos θ), est bien inscriptible dans une sphère.
Pour le rhomboèdre, pour le rhomboèdre tronqué, et comme pour tous les polyèdres convexes,
Nombre de faces + Nombre de sommets = Nombre d'arêtes + 2 (résultat dû à Euler -18ème siècle)

Dans la Fig 5, la pyramide FCDS est positionnée pour mettre en évidence l'angle φ ' qui servira à la découpe. L est le projeté orthogonal de S sur (P). Le triangle SDC est équilatéral de centre X car FS=FC=FD et les 3 faces ont, en F, des angles de même mesure θ.

Dans le triangle FSI, on connait les trois côtés on peut calculer l'angle SIF de mesure φ ' .
C'est l'angle du plan (P) et du plan (SDC).


On a FS = FD = FC = 2.α.cosθ et FI = FC. cos(θ/2) = 2.α.cosθ .cos(θ/2)
Comme SDC est équilatéral, IS = ½CD√3 et CD = 4.α.cosθ .sin(θ/2)
SL/SI = sinφ ' et sinφ ' = (2.SF.HE)/(α.CD√3)
On obtient sinφ ' = √(3-t²) /√3 puis tanφ ' = (√(3-t²))/t. 
On a en effet SL/SF = F'J/FF' = HE/EE'.
De plus, en utilisant les résultats précédents (Fig 6),


FI/FG= 2.cosθ et FS/FF'= 2.cosθ donc (SI)//(F'G)
Dans le triangle rectangle F'JG, x'=tan(angleGF'J)=JG/F'J
et dans le triangle rectangle ΩFO, x"= tan(angle ΩFO)= ΩO/OF
JG= 2.ρ – GE = α/cos(θ/2) -α.cos(θ/2) et F'J = EH = 2.ΩO
OF = EF - ρ = 2.α.cos(θ/2) -α/2.cos(θ/2).
De plus, JG/EH = ΩO /OF équivaut à EH² = 2.JG.OF . Or EH² = α²t²((3 – t²)/(1 + t²)) = 2.JG.OF donc x' = x"
Les deux angles GF'J et ΩFO sont égaux. Comme (F'J) est perpendiculaire à (FG), (F'G) est perpendiculaire à (FE'). (SI) est perpendiculaire à l'axe du rhomboèdre. Ceci est vrai pour les trois plans de symétrie, donc (E'F) est normale au plan (SDC). Le grand axe du rhomboèdre est normal au plan de section.


Comme les trois faces de sommet commun F ont, en F, le même angle θ, et qu'il en est de même pour les trois faces de sommet commun E', le rhomboèdre tronqué " vu de dessus ", apparaît comme un hexagone régulier (projection orthogonale du solide sur un plan parallèle au plan SDC).
Les deux triangles équilatéraux, bases des pyramides de section, dessinent le Sceau de Salomon (Fig 7)
Ainsi, dans ce polyèdre, on trouve le triangle équilatéral, le pentagone régulier et l'hexagone régulier.





On pense naturellement au carré qu'on ne voit pas dans les différents calculs.
Pourtant, le carré magique de rang 4 (carré de Jupiter) est bien sur la gravure, en-haut à droite !

Les carrés magiques sont connus de Chine et d'Inde depuis longtemps. On pense cependant, qu'ici, dans cette gravure, on a une des premières publications en Europe d'un carré magique. C'est certainement au moment de ses voyages à Venise que Dürer découvrit ces objets, lors de ses rencontres avec des mathématiciens et artistes, en particulier Luca Pacioli.
Quel est le lien entre ce carré et le polyèdre ?

Parmi les arrangements possibles pour le carré magique d'ordre 4, 880 dénombrés par Bernard Frénicle au17ème siècle et 1232 plus tard , A. Dürer a choisi cette disposition des entiers de 1 jusqu'à 16. Dans le milieu de la quatrième ligne, les entiers 15 et 14, côte à côte, signalent la date 1514 de réalisation de la gravure.
Comme dans tout carré magique, on retrouve la même somme, ici 34, sur les colonnes, les lignes et les deux diagonales (1+2+3+....+16 = 4.34).
Mais on retrouve aussi cette somme sur des configurations extraites du carré dont certaines sont représentées ci-dessous.


3. Le cas particulier θ = 72°

Qu'apporte de plus le choix d'un angle de 72° pour le rhomboèdre ?
Comme indiqué ci-dessus, 72° est l'angle au centre du pentagone régulier, de supplément 108° angle de deux côtés consécutifs de ce polygone régulier.
Dans ce cas, les faces pentagonales qui apparaissent sur le dessin de Dürer montrent donc ces deux angles. Le nombre d'or Φ est présent dans les figures associées au pentagone, on le retrouvera certainement dans ce solide.
Reprenant les calculs précédents en remarquant que 72° est bien compris entre 60° et 90°, on rappelle des résultats concernant les angles de 36°, de 72° ( de supplément 108°) :
cos(36°) = ¼(1+√5) et donc 2.cos(36°) = Φ (nombre d'or, Φ = 1,618...)
sin(72°) = ¼√(10+ 2√5) et cos(72°) = ¼(√5-1) et aussi tan(36°)= √(5-2√5) donc t = 0,72...
EK = ¼ α√(10 + 2√5) , EK est la hauteur d'une face du rhomboèdre.
EH = ½ α√(6√5-10) , EH hauteur du rhomboèdre, distance des deux faces (P) et (P').
L'angle EKH, de mesure φ , est l'angle aigu de deux faces du rhomboèdre.
On obtient tan φ = 2√(2 +√ 5) soit φ = 76,35°
Les valeurs EH, EK et φ permettent de construire un rhomboèdre d'angle de 72°.


De plus, revenant à la Figure 3,
On obtient ρ = ½ α.(√ 5-1)
puis AB = ½ α.√(10 – 2√5) et EF = ½ α.(√ 5+1).
On remarque que EF = α.Φ , le nombre d'or est présent dans cette figure.
De plus, FO = FE - ρ et FO = α . Dans le cercle (Γ), les mesures connues des arcs AE et EB conduisent à la valeur angle BOD = 36° et par suite COD = 72°. FCOD est un losange et FI = ½FO =½ α.
On a aussi CD = α.√(5 – 2√5) et FC = ρ = ½ α.(√ 5-1). CD est le côté du pentagone régulier inscrit dans le cercle(Γ).
Enfin FC = ½ α.(√ 5-1) ce qui précisera la découpe de la pyramide.
On a EF/EB = Φ mais aussi AB/CD = Φ et EF/FO = Φ
Le nombre d'or est très présent dans ce solide.


Dans le cas général, FC = ρ équivaut à 4.(1-t²) = ( 1+t²)√( 1+t²) .
En posant 1+t² = u² , on obtient une équation du 3ème degré en u qui n'a qu'une solution dans l'intervalle [1 , 2].
(en effet, 60°≤ θ ≤90° ce qui assure 0,5 ≤ t ≤ 1 et ainsi 1 ≤ u ≤ 2 )
FC = ρ est vrai uniquement dans le cas θ = 72°
FCOD est un losange dans ce seul cas.


De plus, dans le triangle FSI, on peut calculer l'angle SIF de mesure φ '.
On obtient tan φ ' = √((10 + 6√5)/5) ce qui détermine φ ' = 65,20°


Enfin, la sphère (Σ), circonscrite au polyèdre, de centre Ω, de diamètre [EF'],
a pour rayon R = ¼ α.√(14 – 2√5).
La sphère (Σ'), de centre Ω, de rayon ΩO = r avec r = ½EH = ¼α.√(6√5-10) est tangente aux faces AEBF et A'E'B'F' en O et O'. D'après les symétries du polyèdre, elle est aussi tangente aux 4 autres faces EE'B'B, AA'F'F, BB'F'F, EE'A'A en O'ı, Oı, M , M'.
Comme la distance de Ω au plan CDS est différente de ΩO, le polyèdre n'admet pas de sphère inscrite tangente aux 8 faces, mais la sphère (Σ') est tangente aux 6 faces du polyèdre autres que les deux plans de coupe, bases des pyramides de sommets F et E' (voir Partie C, polyèdre dual).

En résumé :

Pour un rhomboèdre d'angle aigu θ , il n'y a qu'une manière de le tronquer pour obtenir un polyèdre inscriptible dans une sphère.
De plus, l'axe du rhomboèdre est orthogonal au plan de section.
Quand on pose le polyèdre sur une face triangulaire, comme sur la gravure, l'axe de symétrie ternaire est « vertical ».
Pour θ = 72°, le nombre d'or Φ = 1,618...est très présent dans le solide ; en particulier AB/CD = Φ.


La Divine Proportion

Albrecht Dürer s'est rendu deux fois en Italie, pour des voyages à Venise, le premier de 1494 à 1496. En 1494, il va de Nuremberg à Venise en traversant le massif alpin.
La renommée de G. Bellini, peintre précurseur de l'Ecole vénitienne, qui introduisit la rigueur géométrique dans la construction de ses tableaux est une des raisons de ce voyage. Il est aussi dans la première période de ses aquarelles ; il en réalisera de nombreuses lors de ce périple (Fig 8 ).

 A Venise, il rencontre Jacopo de Barbari, peintre et graveur de l'Ecole vénitienne qui l'initie aux mathématiques, en particulier à la perspective, en plein épanouissement à ce moment.
La collaboration entre les deux artistes est étroite car en 1500 on retrouve Jacopo à Nuremberg, près de Dürer.
En 1495, Jacopo de Barbari peint le tableau « Luca Pacioli et son élève Guidobaldo de Montefeltro, duc d'Urbino » (Fig 9 ).
Luca Pacioli, moine franciscain, mathématicien parmi les plus importants a publié en 1494 « Summa di arithmetica, geometrica, proportione et proportionalita » qui le rend célèbre.
A cette époque, il a aussi écrit « De Divina Proportione » qui ne sera publié qu'en 1509 à Venise.
Dans cet ouvrage, citant le Timée de Platon, trois thèmes principaux :
* Nombre d'or et proportion (notion centrale)
* Les éléments mathématiques de la perspective
* Les Polyèdres (en plus des cinq solides de Platon, une soixantaine sont décrits et Léonard de Vinci exécutera les planches les représentant).


Fig. 9

Entre 1505 et 1507, Dürer entreprend un deuxième voyage à Venise mais aussi à Florence, Padoue,...et renforce ses échanges avec les artistes italiens.
A son retour à Nuremberg, il a fait ample provisions de connaissances nouvelles et son intérêt pour les mathématiques s'accroit.
Il étudie les Eléments d'Euclide, utilise ces nouveaux savoirs dans ses oeuvres ; la réalisation de sa gravure « Melencolia 1 » en 1514 le confirme.
Les proportions sont au centre de ses préoccupations.
Comme exemple, examinons de nouveau, les faces pentagonales du polyèdre, en comparant avec les polygones réguliers pentagone et décagone.


Propriétés des faces pentagonales du polyèdre de Dürer

La Figure10 reprend les éléments de la Figure 3 (Partie A), dans le cas θ=72°. Ainsi les 4 angles en E valent chacun 18° car angle(EDB)=54°et angle(DBE)=108° et (EO) est axe de symétrie de la figure.
Angle(CAE)=108° et par suite angle(CBE)=72°.
Donc CE=AB et comme EC=ED, les trois diagonales
[AB], [EC], [ED] sont de même longueur.
AB/CD=Φ donc aussi EC/CD=ED/CD= Φ
Angle(AED)=54° donc AD=EB et AD=BC=EB


Dans la face pentagonale du polyèdre, [CD] est le côté du pentagone régulier convexe, [AC] celui du décagone régulier, [AB] côté du pentagone étoilé (le pentagramme) et [BC] celui du décagone étoilé pour le cercle circonscrit à ce polygone (Fig 11 et Fig 12).

Dans le triangle DQB, angle(QDB)=54° et angle(DQB)=36° donc angle(DQB)=90° et (BC)┴ (ED)
Dans les triangles rectangles ayant un angle de 36°, le rapport côté/hypoténuse = cos36° = ½Φ. C'est le cas pour QB/BD, EG/EB,EQ/EC,...Le triangle EQB, rectangle en Q a pour hypoténuse [EB] et angle(EBQ)=72° ; il est superposable au triangle EE'K de la Figure 2.


On a aussi EQ=EK, hauteur d'une face du polyèdre.
On a enfin TE/TD= Φ²
Les faces pentagonales du polyèdre de Dürer sont donc très particulières et riches de propriétés géométriques.
On peut y voir une forte volonté de l'artiste de marquer sa maîtrise des proportions. Cette figure pourrait être nommée « Le Pentagone de Dürer ».
Rappelons des propriétés du pentagone régulier (Fig 11)
Les cinq diagonales (côtés du pentagramme) sont égales et le quotient de cette diagonale par le côté a pour valeur Φ : par exemple A'B'/C'D'= Φ, comme pour AB/CD=Φ du Pentagone de Dürer.
De plus, E'D'/E'Q'= Φ car E'Q'=A'C' . On a aussi E'Q'/E'T'=E'T'/T'Q'= Φ



Remarque :
 
Le "Pentagone de Dürer" rappelle le profil d'un diamant taillé en "brillant".
Les diamants viennent de l'Inde à l'origine et très tôt on les a taillés pour augmenter leur éclat, grossièrement d'abord puis plus finement. En Europe, dès le 14ème siècle, on pratique cette taille. Agnès Sorel est une des premières femmes à porter de tels bijoux.
En Allemagne, vers 1375, une confrérie d'artisans libres pratique la taille à Nuremberg.
Vers 1475, L. van Berquem, un flamand, introduit la nécessité de la symétrie dans la disposition des faces.
Dürer, qui fit un apprentissage en orfèvrerie (de nombreux graveurs, Martin Schongauer par exemple, apprirent le métier d'orfèvre), était certainement informé de ces pratiques de taille ; y-a-t'il un discret rappel dans la forme de ce pentagone si particulier ?
Si graver divers matériaux (pierre, bois, os, métal...) est une activité humaine très ancienne, l'estampe (impression d'un matériau gravé sur papier) est plus récente et a suivi l'invention des techniques de fabrication du papier.
La Bible de Gutenberg date de 1455 et c'est vers 1430 que la taille-douce (gravure sur métal) apparaît en Allemagne. A côté de la gravure sur bois, bien pratiquée en ces temps, la gravure sur cuivre, très récente, va d'emblée atteindre des sommets avec des artistes comme Dürer et Schongauer. Il est à noter que les outils de ces graveurs sur cuivre, le burin entre autres, sont des outils d'orfèvre.
Lors de la taille des diamants – en brillant - pour donner un maximum d'éclat, les lois de la propagation de la lumière étant mieux connues, on a cherché le meilleur profil ; le rapport Hauteur/ Diamètre étant un paramètre important.
Ce n'est qu'en 1919 que Tolkowsky propose, pour les "Brillants", des mesures utilisées par la plupart des diamantaires actuellement.
Voici la comparaison des deux profils (Fig 13).